Dans un secteur où chaque trimestre semble redistribuer les cartes, Claire Chavanon observe l’écosystème des paiements avec une lucidité rare. À la tête du paiement chez Oscaro.com – un acteur massif avec plus de huit millions de clients, cinq millions de visiteurs uniques mensuels et près d’1,5 millions de références au catalogue – elle voit défiler, chaque jour, une réalité qui rattrape vite les discours d’innovation. Et ses observations pour 2026 témoignent d’un mélange précieux : un sens aigu de la technologie… et un attachement inébranlable au terrain et au client final.

Ralentir pour mieux choisir : l’innovation en excès, la stratégie en défaut

Si l’industrie avance vite, trop vite parfois, c’est peut-être là que réside, selon elle, le véritable défi des prochains mois. Le marché déborde de nouvelles promesses : wallets, paiement instantané, tokenisation, Click to Pay, agents IA, orchestration, stablecoins, e-ID, Open banking, PIS, … Une avalanche dont l’effet cumulatif pourrait paradoxalement freiner la progression des marchands plutôt que l’accélérer.

Les marchands ne peuvent pas tout intégrer d’un coup : les projets, leurs systèmes, leurs ressources et leurs équipes fixent des limites. L’innovation est une opportunité d’adaptation continue, où chaque innovation oblige à faire des choix stratégiques et progressif !

« Il faut savoir innover sans créer de déception ni de friction », explique-t-elle. Un avertissement clair : 2026 sera l’année où l’on décidera ce qu’on ne fera pas.

Parce que derrière chaque nouvelle solution se cache un effort structurel colossal. ERP à moderniser, entrepôts à repenser, équipes à former une nouvelle fois, architecture à modulariser. Un nouveau PSP peut se mettre dans une présentation PowerPoint en une semaine… mais parfois en un an dans la réalité.

« Le paiement évolue vite, mais nos architectures doivent s’adapter progressivement » Cette phrase résume à elle seule le véritable enjeu de 2026 : concevoir des roadmaps réalistes, modulaires, alignées sur les capacités internes, pas sur le rythme frénétique du marché.

Trop d’options peut nuire à la conversion : la question du choix

Cette nécessité de ralentir pour prioriser conduit naturellement à un autre constat : proposer « tout » aux clients n’est pas une stratégie. C’est une erreur. Oscaro s’intéresse aux nouveautés : nouveaux wallets comme Wero, Click to Pay, la tokenisation etc... Mais Claire reste d’une lucidité absolue : « Chaque moyen de paiement doit être choisi pour sa rentabilité, son impact sur le parcours client et sa capacité à générer un chiffre d’affaires incrémental, sans cannibaliser les solutions existantes. L’objectif d’Oscaro : un checkout modulable et optimisé, adapté aux innovations du marché sans complexifier l’expérience ni alourdir les systèmes. »

Le défi de demain : adapter le checkout pour chaque client, de manière contextuelle et sécurisée, afin de proposer la sélection de moyens de paiement la plus pertinente et performante.

Dans un univers où l’innovation peut devenir anxiogène, elle affirme une conviction forte : la simplicité redeviendra une valeur d’avenir. Oscaro accueille une clientèle très large, parfois non technophile, et ses focus groups sont sans ambiguïté : les consommateurs veulent des parcours lisibles, stables, sécurisés — pas une interface saturée de logos et d’options.

« La rapidité des innovations peut parfois dépasser la capacité des clients à s’y retrouver ». dit-elle. Cette phrase agit comme un rappel : la promesse d’un paiement moderne ne réside pas dans la profusion mais dans la clarté. Les meilleurs marchands en 2026 seront ceux qui sauront choisir avec discernement.

La fraude, devenue indissociable de l’IA, changera la nature du risque

Le deuxième enjeu majeur marque un changement de paradigme dans la fraude. Les schémas deviennent hybrides et IA-native, combinant deepfakes, scénarios génératifs et automatisation, ce qui rend les attaques plus crédibles et difficiles à détecter. La fraude transactionnelle industrialisée et la fraude à l’identité existante sont désormais amplifiées par l’IA. La fraude au retour se renforce également, les fraudeurs s’appuyant sur l’intelligence artificielle pour falsifier images, vidéos et justificatifs et contourner les contrôles logistiques. L’ensemble crée un environnement où les attaques deviennent quasi indiscernables du comportement humain, obligeant les marchands à adapter leurs systèmes de détection et leurs processus.

Cette menace transforme profondément la mission des équipes paiement et fraude : la frontière entre fraude financière, fraude commerciale et fraude psychologique devient poreuse, et les outils actuels ne suffisent plus.

En 2026, face à une fraude de plus en plus complexe, les marchands devront adapter leurs pratiques, tirer le meilleur parti des outils disponibles et former leurs équipes, sans pouvoir investir tout de suite dans des outils de dernières générations. En soi continuer à s’adapter à la fraude sans tout réinventer !

Le paiement sortira du site : l’avènement silencieux de l’Agentic Payment

Comme beaucoup, Claire observe l’émergence d’agents IA capables d’acheter, comparer, gérer un litige ou initier un remboursement. Demain, une partie des paiements s’effectuera hors du site marchand, dans une conversation avec un assistant.

Un changement profond de logique : le paiement ne sera plus une étape dans un funnel, mais un acte conversationnel. Les marchands devront s’y préparer : on ne paiera plus sur un site, mais à travers un dialogue.

2026 et les talents du paiement : transformer la complexité en opportunité

La question des ressources traverse tout le raisonnement de Claire. Ce n’est pas seulement la technologie qu’il faut suivre ; ce sont les compétences nécessaires pour la comprendre, l’intégrer et la maintenir. 2026 fera émerger un nouveau défi : recruter, former, retenir.

Dans l’écosystème actuel, certains profils clés – fraud analysts, product owners paiement, data analysts paiement, mais aussi le service client sont confrontés à des mutations rapides de leurs pratiques. L’enjeu n’est pas tant la pénurie d’experts que la difficulté à identifier puis à mobiliser les profils capables de gérer cette complexité croissante.

À court terme, l’IA ne remplacera pas ces métiers ; elle transformera surtout leur nature et en élèvera les exigences. Ces rôles ne sont pas de simples exécutants. Ils évoluent dans l’ambiguïté, arbitrent entre contraintes réglementaires et impératifs opérationnels, portent des décisions où la responsabilité est engagée et, surtout, préservent ce qui demeure le cœur du paiement : la confiance.

En 2026, le défi sera d’actualiser et de renforcer les compétences de ces équipes, afin qu’elles tirent pleinement parti des potentiels de l’IA tout en plaçant l’humain au cœur des décisions, et de rester agiles face aux nouvelles innovations et solutions de paiement qui arrivent sur le marché.

Les perspectives de Claire Chavanon dessinent un futur où l’innovation n’est plus une course, mais un choix éclairé. 2026 sera l’année de la sélection, de la priorisation de la pédagogie, et surtout de remettre le client au centre de toutes les décisions. Sa voix rappelle une évidence que le secteur oublie parfois : un paiement réussi n’est pas celui qui intègre le plus de technologies, mais celui qui comprend le client, ses limites, ses usages et sa capacité réelle à suivre le rythme de l’innovation.

« En 2026, la vraie rupture sera notre capacité à choisir. Choisir ce qui crée de la valeur. Choisir ce que nos organisations peuvent absorber. Choisir ce qui répond aux besoins clients, pas aux tendances. Le futur, ce n’est pas plus. Le futur, c’est mieux. »

Claire Chavanon, Directrice Paiement et Fraude chez Oscaro.com