Avec 31,7 milliards d’euros de chiffre d’affaires hors taxe en 2024, Auchan Retail International demeure l’un des piliers de la distribution européenne. Le groupe, présent dans 12 pays, s’appuie sur 2 900 points de vente et un écosystème e-commerce en expansion - qui combine produits alimentaires, non-alimentaires et une marketplace en croissance continue.

En France, son marché historique et stratégique, Auchan concentre près de la moitié de l’activité du groupe. Sur ce périmètre, le commerce en ligne représente environ 8 % des ventes, une part modeste mais appelée à croître fortement dans les prochaines années, portée par la généralisation du click & collect et la montée en puissance des parcours hybrides.

Dans un univers de marges réduites, où la moindre friction peut se traduire par une perte de volume, le paiement devient un levier de performance autant qu’un enjeu de résilience. C’est ce constat qui, dès 2022, pousse Auchan Retail France à repenser la colonne vertébrale de son infrastructure de paiement en ligne.

« Nos taux d’acceptation étaient légèrement en-deçà du marché, autour de 83 % », explique Éric Van Zurk, Head of Customer Payments chez Auchan Retail International. « Cela peut paraître marginal, mais à notre échelle, chaque point d’acceptation se traduit par plusieurs millions d’euros. »

Une dépendance qui limitait l’innovation

Avant cette refonte, Auchan s’appuyait sur un prestataire unique, ACI Worldwide, pour l’ensemble de ses paiements e-commerce. À travers cette plateforme, plusieurs moyens de paiement étaient proposés :

  • la carte Oney, solution de paiement fractionné développée avec Oney Bank (dont Auchan détient 49,9 % du capital aux côtés du Groupe BPCE) ;

  • PayPal, utilisé par 17 % des clients ;

  • et les réseaux CB, Visa, Mastercard, American Express, qui représentaient à eux seuls 81 % des transactions.

Cette configuration, typique du e-commerce des années 2010, présentait l’avantage de la simplicité et de la centralisation. Mais elle reposait sur un modèle en silo, qui limitait la flexibilité et rendait le système dépendant des choix stratégiques d’un seul prestataire.

Les signaux faibles se multiplient alors :

  • des taux d’acceptation légèrement inférieurs à la moyenne du marché,

  • des difficultés de réconciliation comptable entre les flux,

  • et des contraintes techniques fortes à chaque ajout de nouveau moyen de paiement.

« La dépendance à un PSP unique ne permettait pas de faire évoluer notre stack à la vitesse des usages », explique Erik Van Zurk. « Nos clients commençaient à exprimer une forte appétence pour les wallets, notamment Apple Pay, que notre PSP n’intégrait pas encore. »

À ces considérations techniques s’ajoute un enjeu financier : dans un modèle de distribution à marges serrées, le moindre gain de performance sur les commissions d’acquisition ou les coûts de transaction peut avoir un impact significatif. La direction décide donc d’explorer une approche plus ouverte : l’orchestration de paiement.

Pourquoi l’orchestration s’impose

Dans le retail, l’orchestration consiste à désolidariser la couche métier (paiement client) de la couche technique (prestataires de paiement et acquéreurs), via une plateforme intermédiaire capable de piloter, router et optimiser les transactions en temps réel.

Concrètement, cela permet à un commerçant :

  • de connecter plusieurs prestataires de paiement pour chaque flux;

  • de définir des règles intelligentes de routage selon le contexte (type de carte, montant, pays, disponibilité);

  • et d’activer des solutions de repli automatiques en cas d’incident sur un prestataire de paiement.

Cette approche, adoptée par les leaders de l’e-commerce, gagne du terrain dans la grande distribution.

Elle répond à trois priorités majeures : augmenter les taux d’acceptation, réduire les coûts d’acquisition, et accroître la résilience face aux pannes ou aux maintenances imprévues.

« L’orchestration, c’est une forme d’assurance technique et économique », résume Van Zurk. « Elle permet de ne pas subir les contraintes d’un partenaire unique, et de reprendre la main sur les leviers de performance. »

Purse : une solution née dans la galaxie Mulliez

Le hasard a bien fait les choses : la galaxie Mulliez - dont Auchan fait partie - possédait déjà dans son giron un orchestrateur de paiement maison.Développé initialement par Decathlon sous le nom UpStream Pay, cet outil avait fait ses preuves dans le pilotage de paiements multicanaux et multi-prestataire de paiement. Rebaptisé Purse, il est désormais proposé comme solution mutualisée à d’autres enseignes du groupe.

« Le track record de Decathlon nous a immédiatement convaincus », se souvient Erik Van Zurk. « Purse offrait déjà la robustesse et la modularité nécessaires pour absorber nos volumes et nos spécificités."

Cette approche intra-groupe a permis à Auchan de capitaliser sur une expertise éprouvée, tout en conservant une gouvernance indépendante de ses prestataires externes.

L’intégration s’est inscrite dans une logique de coopération technologique entre enseignes Mulliez : partage d’infrastructure, mutualisation de coûts, et apprentissage croisé.

Une intégration rapide et progressive

La première phase du déploiement de Purse a concerné les ventes alimentaires et non-alimentaires en ligne, soit la majeure partie du périmètre e-commerce français. Le projet, lancé fin 2022, s’est déroulé sur trois à quatre mois - un délai particulièrement court pour une refonte de cette ampleur.

La priorité initiale : remonter les moyens de paiement existants, jusque-là interfacés via ACI, au niveau de Purse.

Objectif : permettre à l’orchestrateur de dialoguer directement avec Oney, PayPal et les réseaux de cartes bancaires, sans passer par le tunnel technique d’ACI. Ce changement a immédiatement réduit les points de friction et raccourci les délais de traitement des transactions.

En parallèle, Auchan a ajouté deux nouveaux PSP :

  • Worldline (GoPay), désormais utilisé sur une partie du non-alimentaire ;

  • Adyen, choisi spécifiquement pour gérer Apple Pay, désormais présent dans près de 19 % des transactions, devant PayPal (14 %) et Oney (2 %), mais derrière les card schemes (65 %).

« L’intégration s’est faite en douceur, grâce à la flexibilité de Purse et à la maturité des équipes techniques », souligne Van Zurk. « Ce projet a été mené sans perturbation de notre activité, ce qui est assez rare dans ce type de migration. »

Des premiers résultats convaincants

Dès les premiers mois, les bénéfices se sont matérialisés. Le taux d’acceptation global est passé de 83 % à environ 88 %, une progression de cinq points qui, à l’échelle d’un acteur de la taille d’Auchan, représente un gain considérable. Les processus de réconciliation comptable ont également été fluidifiés, grâce à la consolidation des flux dans une seule interface.

Mais au-delà de ces premiers résultats, la vraie révolution est organisationnelle : les équipes ont retrouvé une autonomie dans la gestion du paiement, auparavant piloté exclusivement par le PSP. Les intégrations de nouveaux moyens de paiement ou l’ajustement des parcours se font désormais sans dépendance technique, en interne.

« Nous avons gagné en vitesse et en capacité d’adaptation », explique Erik Van Zurk.« Purse nous offre un cockpit unifié, depuis lequel nous pouvons tester, ajuster et analyser sans rupture de charge. »

Vers une orchestration complète et dynamique

Aujourd’hui, le choix du PSP reste encore partiellement figé par le type de parcours : ACI continue de gérer les achats alimentaires, tandis que Worldline opère sur une partie du non-alimentaire.

Mais la feuille de route est claire : aller vers une orchestration dynamique, où Purse décidera en temps réel du routage optimal selon plusieurs critères

  • le type de carte ou d’émetteur ;

  • les coûts de transaction ;

  • la disponibilité des PSP ;

  • ou encore le taux de succès observé en temps réel.

Ce modèle doit aussi permettre à Auchan d’activer des fallbacks automatiques : en cas de refus sur un PSP, la transaction sera routée vers un second, sans interruption du parcours client.

À terme, Purse permettra également d’optimiser le “on-us” - c’est-à-dire les transactions traitées en interne, entre entités bancaires du groupe - afin de réduire encore les commissions d’acquisition.

« Nous entrons dans une logique de pilotage data-driven », précise Erik Van Zurk. « Le paiement devient un levier de performance et de compétitivité, pas seulement une brique technique. »

Prochaines étapes : marketplace et international

La marketplace Auchan.fr, en forte croissance, fait partie des prochains chantiers. Son intégration à Purse est prévue d’ici 2026 et permettra de gérer simultanément les paiements clients et les reversements vendeurs, tout en respectant les contraintes réglementaires du modèle pour compte de tiers.

Au-delà de la France, l’ambition est d’étendre progressivement Purse à d’autres marchés européens, avec une approche “test & learn” inspirée du pilote français. Chaque entité locale pourra adapter le modèle à ses propres PSP et préférences de paiement, tout en bénéficiant d’une infrastructure commune et d’un reporting consolidé à l’échelle groupe.

« La France agit comme un laboratoire », conclut Van Zurk. « Une fois la mécanique parfaitement maîtrisée, nous pourrons la dupliquer ailleurs, avec les ajustements nécessaires selon les régulations locales. »

Une trajectoire emblématique du retail européen

Avec ce chantier, Auchan Retail France rejoint une dynamique observée dans tout le secteur : la montée en puissance des infrastructures modulaires, capables d’absorber la complexité du paiement sans la subir. L’orchestration n’est plus un luxe technologique : c’est un facteur d’agilité et de souveraineté.

En internalisant la logique de pilotage, Auchan reprend le contrôle sur trois leviers clés :

  • la conversion, grâce à de meilleurs taux d’acceptation ;

  • la sécurité, via la redondance multi-PSP ;

  • et la marge, par l’optimisation des coûts bancaires et des commissions d’acquisition.

« L’orchestration, ce n’est pas une surcouche, c’est une philosophie », résume Erik Van Zurk. « Elle nous permet d’allier fluidité pour nos clients, efficacité pour nos équipes, et compétitivité pour l’entreprise. »

Ce qu’il faut retenir

  • Déclencheur : taux d’acceptation en deçà du marché et dépendance à un PSP unique.

  • Solution : adoption de Purse, orchestrateur né chez Decathlon (groupe Mulliez).

  • Résultats : +5 points d’acceptation, meilleure réconciliation, intégration rapide.

  • Prochaines étapes : marketplace en 2026, extension européenne.

  • Enjeu stratégique : faire du paiement un levier de performance et de souveraineté dans la grande distribution.