Depuis dix ans, Treezor s’est imposé comme la boîte noire des fintechs françaises : rarement en vitrine, toujours au cœur de l’action: Voilà peut-être la meilleure synthèse du positionnement de Treezor en 2025. Tandis que certains acteurs du banking-as-a-service se recentrent, lèvent des tours de table ou pivotent vers des logiques produit, la filiale de Société Générale avance - lentement peut-être, mais sûrement.

Créée en 2015 par Éric Lassus et Xavier Labouret, Treezor a été l’une des premières fintechs européennes à obtenir un agrément d’établissement de monnaie électronique couvrant l’ensemble des services de paiement. Dès 2016, elle devient une infrastructure stratégique pour des fintechs comme Lydia, Qonto, Shine, en leur fournissant toute la brique réglementaire et technique nécessaire au lancement de leurs services. Une architecture propriétaire, et une stratégie claire : couvrir le maximum de besoins réglementés autour du paiement, sans chercher à faire le buzz.

Le Banking-as-a-service en France est né d’un objectif politique et réglementaire clair : ouvrir la chaîne de valeur des paiements à de nouveaux entrants plus agiles, au bénéfice du consommateur final. Là où les banques traditionnelles ont longtemps contrôlé l’intégralité des flux, sans volonté d’innovation sur la stack technique, le BaaS a permis à une nouvelle génération d’acteurs - fintechs, plateformes, logiciels - d’intégrer du paiement dans leur parcours client.

Selon les données publiées par Mind Fintech en juillet dernier, Treezor reste en tête du marché français en matière de PNB (28,5 M€), avec une croissance de +15 % sur un an. Une performance significative dans un marché qui se restructure. Mais cette solidité s'accompagne aussi de signaux plus tendus : plus de 10 M€ de pertes nettes, un report à nouveau de –59 M€, et une rentabilité encore hors de portée.

Et pourtant, la structure tient. Mieux : elle se renforce. L’infrastructure traite aujourd’hui plusieurs dizaines de millions de transactions par mois pour des clients comme Shine, Matera, ClubFunding ou Betterway. Et l’internationalisation s’accélère : Allemagne, Italie, Espagne et Benelux sont désormais activement couverts.

Mais alors que Société Générale étudie une possible cession, révélée par La Lettre, l’heure est venue de faire le point. Quel modèle Treezor défend-il aujourd’hui ? Quels cas d’usage alimente-t-il ? Et comment la fintech voit son futur?

Une infrastructure pensée pour durer - sans raccourcis ni sur-promesses

Treezor fait partie de ceux qui ont construit leur propre base technologique, sans dépendre de fournisseurs tiers pour ses fonctions critiques. Emission de cartes, wallets, virements SEPA, IBANs locaux, moteur de règles KYC/AML, tableaux de bord conformité, traitement des flux… tout est intégré au sein d’une architecture propriétaire.

Ce choix de l'indépendance, moins rapide mais plus robuste, offre deux avantages clés :

  1. Une modularité poussée : “Certains clients commencent avec un besoin, puis étendent à d’autres briques au fil du temps - cartes, wallet, virement, reporting, etc.”, explique André Gardella, CEO de Treezor. Le tout, sans avoir à multiplier les prestataires.

  2. Une couverture réglementaire robuste : Treezor a fait le choix du modèle agent (comme son concurrent Xpollens), où l’entreprise cliente reste propriétaire de sa relation commerciale, tout en étant intégrée au dispositif de contrôle interne du régulé. Ce modèle, validé par l’ACPR, est considéré comme plus résilient en matière de LCB-FT (lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme), notamment face aux exigences du DSA, de la Verification of Payee ou encore du futur règlement PSR.

Treezor n’a jamais promis d’être tout pour tout le monde - mais assume aujourd’hui pleinement son rôle de “one-stop-shop” bancaire pour les cas d’usage complexes, réglementés, ou multi-produits. Cartes, virements, wallets, scoring, moteur de règles paramétrables (plus de 10 000 options)… l’entreprise sait que chaque client vient avec un besoin différent, mais repart souvent avec plus. “La profondeur de notre offre reste notre différenciateur. Et nous n’avons aucun complexe à intégrer des briques externes quand c’est pertinent.

L’acquisition ? Via Société Générale ou des prestataires de paiement partenaires. La fabrication des cartes ? Via IDEMIA. Le pari : assembler avec exigence, plutôt que bricoler vite. Treezor ne veut pas tout faire - mais veut bien faire ce qui est critique, et déléguer avec rigueur le reste.

Une présence européenne… mais sans fantasme d’hypercroissance

Treezor avance avec méthode. Plutôt que de multiplier les drapeaux sur une carte, l’entreprise se concentre sur un ancrage solide dans quelques marchés stratégiques de la zone euro : France, Allemagne, Italie, Espagne, Benelux. Partout, elle propose de vrais IBANs locaux, avec les reporting réglementaires que cela implique. En Allemagne, cela représente 18 dossiers supplémentaires à gérer.

Cette approche locale implique un travail d’ingénierie réglementaire et opérationnelle considérable. Chaque pays a ses propres interprétations de la DSP2, de la lutte anti-blanchiment ou des obligations d’information : autant de couches que Treezor prend en charge pour ses clients. “La directive est la même, mais le droit local diffère. Ce qui nous intéresse, c’est de rendre cette complexité invisible.” rappelle André Gardella.

En Espagne, les sujets liés aux avantages salariés et à la mobilité rencontrent une forte traction. En Italie, le B2B progresse rapidement, tiré par la généralisation de la facturation électronique. En Allemagne, les clients cherchent des partenaires réglementairement fiables. “Nous ne cherchons pas à tout conquérir tout de suite. Ce que nous voulons, c’est construire un socle robuste dans chaque marché que nous ouvrons.

Cette rigueur attire des clients comme Matera ou ClubFunding, qui déploient leurs services simultanément dans plusieurs pays. Treezor les accompagne avec la même plateforme technique, mais des adaptations réglementaires spécifiques selon les juridictions. Une logique d’échelle maîtrisée.

Un écosystème qui se segmente — Treezor reste généraliste

Swan, Okali, Xpollens… Depuis 2023, le BaaS français a vu fleurir plusieurs modèles. Certains très ciblés, d’autres très industriels. Treezor, lui, reste un acteur généraliste. Son positionnement : fournir en marque blanche toute la brique réglementaire et technique nécessaire à l’émission de cartes, à la gestion de portefeuilles, aux virements, à l’acquisition, au KYC, et au core banking - avec un focus fort sur la conformité. “Bien que la rapidité de lancement d’une carte puisse varier en fonction du profil réglementaire et de la complexité du projet, notre objectif est toujours d’aligner la bonne solution sur les besoins du client. Nous proposons différentes offres, y compris des solutions d’émission instantanée (instant issuing) et des solutions moins personnalisées disponibles immédiatement. Cependant, lorsqu’un client cherche à construire quelque chose de complexe, impliquant de multiples flux, des ensembles de règles variés et des opérations dans plusieurs pays, il revient souvent vers nous.”

Ce positionnement suppose de ne pas courir toutes les opportunités. “Nous n’irons pas par exemple sur le crédit, ni sur des projets pour lesquels notre dispositif de contrôle interne n’est pas adapté. Ce n’est pas notre terrain.” À la place : de la profondeur fonctionnelle, une conformité exigeante, et une architecture qui encaisse.

Exits clients : un symptôme… ou une étape naturelle ?

Qonto, Spendesk, Lydia, OnlyOne : plusieurs clients historiques ont quitté Treezor ces dernières années. Certains pour internaliser, d’autres pour des raisons structurelles ou stratégiques. “Il y a trois types de sorties”, explique Gardella : les sorties souhaitées (agents peu rigoureux), les sorties subies (projets arrêtés ou rachetés), et les sorties naturelles (scale-ups qui internalisent leur infrastructure).

Ce n’est pas un échec en soi. Ce qui compte, c’est de pouvoir accompagner le client dans cette trajectoire. On sait désormais proposer des modules séparés, pour que l’onboarding ou la migration soit progressive. Stancer, Shine… certains sont restés partiellement chez nous.”

Qui veut être mon actionnaire?

Rachetée en 2019 par Société Générale dans une logique d’open innovation, Treezor a toujours conservé une gouvernance et une architecture technologique indépendantes. Depuis les révélations de la Lettre en mars 2025, la rumeur de cession de Treezor par Société Générale persiste. Officiellement, rien n’est confirmé. Mais en interne, la feuille de route reste inchangée.

Et Xpollens, alors ? Une autre lecture du BaaS à la française

Filiale du Groupe BPCE, Xpollens avance avec discrétion mais ambition. Lancée commercialement en 2021, la plateforme s’appuie sur une technologie issue d’une ancienne entité nommée S-money, entièrement refondue pour répondre aux exigences du Banking-as-a-Service.

À la différence de Treezor, Xpollens ne vise pas un modèle packagé ou orienté fintech. Son terrain de jeu est celui des cas d’usage très ciblés où l’automatisation des flux et la conformité granulaire sont au cœur de la proposition. Elle accompagne par exemple Izly, la solution de paiement du CROUS utilisée par des centaines de milliers d’étudiants, Nirio, déployée par FDJ United; ou encore plusieurs projets dans la crypto où le contrôle des flux est essentiel suite à la mise à jour de la réglementation MiCA.

Xpollens intervient dans des configurations très variées : versements automatisés, paiements conditionnés à des événements, génération de masse d’IBANs pour le fléchage de flux, émission de cartes. Dans certains cas, elle fournit un service ciblé - comme le virement sortant instantané de haut volume ou la génération d’ IBAN virtuels - sans nécessairement activer l’ensemble des briques classiques du BaaS. Cette granularité lui permet d’être plus rapide à déployer, plus flexible contractuellement, et de répondre à des besoins métiers très spécifiques. Un autre avantage distinctif : Xpollens capitalise sur la puissance du Groupe BPCE pour accéder à une infrastructure bancaire éprouvée (SEPA instantané, émission de cartes, sécurité opérationnelle, solidité financière) sans perdre en agilité. Cela lui permet d'adresser des clients exigeants sur la fiabilité des flux et la traçabilité, comme les institutions publiques ou les opérateurs réglementés, tout en restant une entité technologique à part entière.

Là où Treezor revendique un guichet unique structurant, Xpollens se positionne en facilitateur technique ultra-ciblé. Deux visions du BaaS français - qui reflètent aussi deux cultures bancaires : généraliste, côté Société Générale ; infrastructure programmable, côté BPCE.