Le plus beau magasin du monde : c’est ainsi qu’on surnomme encore les Galeries Lafayette. Coupole Art nouveau, vitrines iconiques, collaborations artistiques… L’enseigne incarne depuis 130 ans l’élégance à la française. Mais derrière ce patrimoine vivant, c’est aussi un groupe qui opère un virage technologique ambitieux : les parcours omnicanaux se démultiplient, et le paiement devient une question aussi stratégique que la sélection de l’offre.
Trop souvent cantonné à une fonction technique ou réglementaire, le paiement est ici traité comme un levier de conversion, un outil de connaissance client et un catalyseur de coopération entre directions métiers. Pour comprendre comment une maison aussi complexe arbitre ses choix, j’ai eu l’occasion d’interroger deux figures clés de sa transformation : Régis Pennel, Directeur e-commerce, et Béatrice Mouchet, Directrice des Systèmes d’Information Digitaux, Clients et Magasins.
Des rôles distincts, une même exigence de fluidité
Régis Pennel pilote l’ensemble de l’activité e-commerce des Galeries Lafayette : P&L du site marchand, pilotage de l’offre, animation commerciale, acquisition, marketplace… Un scope où la performance est mesurée au clic près, et où le paiement constitue une étape critique du tunnel de conversion.
Côté magasins, Béatrice Mouchet est en charge de l’ensemble des outils digitaux en front de vente : encaissement, application clientèle, click & collect, programme de fidélité, remboursement, liste de mariage, duty free… Soit près de 2500 caisses sur l’ensemble des magasins Galeries Lafayette, dont 900 caisses sur le Magasin Haussmann et une galaxie d’applications interconnectées, dans un environnement où cohabitent une multitude de formats de magasin, de marques, de statuts juridiques et de cas d’usage
Un champ d’intervention complexe et ultra-segmenté
Aux Galeries Lafayette, le paiement est tout sauf standard. Un panier peut valoir 20 euros comme un million. 50 % des clients du magasin Haussmann sont étrangers, et plus de 200 nationalités sont enregistrées chaque année. On y compte plus de vingt moyens de paiement différents, entre cartes privatives, wallets, paiements fractionnés ou détaxés. Nos clients peuvent à la fois être encaissés par des employés Galeries Lafayette mais également par des démonstrateurs de marque (55% des vendeurs) « La variété des formats de magasin, des marqueset des nationalités nous oblige à concevoir le paiement non pas comme une fin, mais comme un veritable service adapté à chaque typologie de clientèle », explique Béatrice Mouchet.
En ligne, les logiques sont différentes mais tout aussi exigeantes. “Sur le site, si le client ne trouve pas son moyen de paiement ou qu’il rencontre une friction au moment du 3D Secure, la vente est perdue. On n’a pas de deuxième chance”, explique Régis Pennel. “Notre obsession, c’est de maximiser la conversion en s’assurant que chaque tentative de paiement aboutisse.”
Une stratégie d’encaissement au service de la souplesse
Les Galeries Lafayette ont remplacé leur système d’encaissement magasin en 2022 pour basculer sur un environnement Android, plus flexible et multi device. Objectif : pouvoir tester rapidement de nouveaux moyens de paiement (Softpos, Pay Later, encaissement mobile, wallets, instant payment…). “Aujourd’hui, 47 % des transactions magasins se font en sans contact, et 60 % de ces transactions passent par le téléphone”, précise Béatrice Mouchet.
Un cas d’usage emblématique : l’expérimentation de l’encaissement mobile aux Galeries Lafayette Champs-Élysées. En 2019, un pilote est lancé pour permettre à des vendeurs – exclusivement employés Galeries Lafayette – de devenir de véritables personal shoppers. Munis d’un smartphone et d’un terminal de paiement mobile, ils peuvent conseiller, scanner et encaisser directement le client sans passer par une caisse fixe. “Le concept était de fluidifier et personnaliser l’expérience client. Mais dans la réalité, beaucoup de clients préfèrent encore se diriger naturellement vers la caisse”, explique Béatrice Mouchet. “Il faut aussi composer avec les réflexes des équipes et des clients, les attentes des marques, ou encore les contraintes de mise en sac dans certains rayons.”
Certaines expérimentations, comme le paiement fractionné en magasin via FLOA, ont été testées puis abandonnées. “Il faut tenir compte des usages, des contraintes réglementaires, comme par exemple la signature du client pour certains paiements, et de la formation des équipes”, explique-t-elle. “Par exemple, pour le duty-free, la détaxe demande de scanner le passeport, les tickets, d’éditer un bordereau… C’est un process à part entière.”
Un autre exemple de personnalisation de service : le vendeur peut commander pour le compte d’un client un produit qui n’est pas en stock, via une application interne. Si le fournisseur est en concession, la vente passe par lui ; sinon, c’est le stock Galeries Lafayette qui est engagé via les entrepôts ou même les autres magasins du réseau.
Une architecture construite pour l’omnicanalité
La stratégie technique repose sur un PSP centralisé (en l’occurence Worldline), qui gère à la fois les flux en magasin et ceux du e-commerce, avec une acquisition en propre. Cette continuité permet de partager les tokens de carte bancaire entre canaux, ce qui facilite la reconnaissance client, les retours, ou le reporting. “Le client peut acheter en ligne, essayer un produit et le retourner directement en magasin. Cette continuité est clé pour l’expérience”, souligne Régis Pennel.
Côté marketplace, les flux sont opérés via Mangopay toujours par Worldline, avec un modèle de mise sous séquestre. Le client ne perçoit aucune différence. “On veille à une expérience uniforme et transparente, quelle que soit la nature juridique du vendeur.”
Des indicateurs de pilotage finement suivis
Les équipes suivent de près les taux d’acceptation, d’échec et de friction (en particulier sur les paiements 3DS), avec des dashboards partagés entre le commerce, l’IT et les équipes fraude. Des tests A/B sont réalisés sur les pages de paiement pour améliorer les taux de conversion. L’équipe e-commerce utilise le programme “Safe’R” pour optimiser le taux de frictionless, en travaillant sur les réseaux CB, Mastercard, Visa et les cartes privatives comme Cofinoga.
Côté fraude, les menaces se déplacent de la transaction vers le remboursement, l’expédition ou les retours. “On a vu apparaître des comportements de type fraude commerciale : renvoi de faux produits, litige à la réception, abus sur les bons d’achat…”, partage Régis Pennel. “C’est plus diffus, plus subtil, mais ça finit par peser lourd.”
Des arbitrages entre coûts, innovation et efficacité
Le paiement est perçu comme un centre de service, avec des arbitrages permanents entre coûts, expérience et performance. “Sur le e-commerce, on pense conversion ; en magasin, on pense rapidité de passage, ergonomie de la caisse, capacité à former rapidement les équipes”, résume Béatrice Mouchet.
Certaines pistes ont été écartées faute d’usage (cryptomonnaies, QR codes en caisse pour certains modes de paiement), d’autres sont en veille (instant payment, Wallet européen). “On observe attentivement, mais on garde un principe : ne tester que ce qui peut être déployé à grande échelle.”
Un modèle hybride, mais une gouvernance alignée
Malgré la complexité des organisations internes (direct, démonstrateurs, marketplace…), la stratégie de paiement repose sur une collaboration constante entre les équipes IT, e-commerce, finance, service client et opérations. “On ne peut pas faire avancer un chantier paiement sans alignement des parties prenantes. La valeur est justement dans cette transversalité”, conclut Régis Pennel.
Un témoignage rare, qui rappelle que derrière chaque achat fluide, chaque encaissement sans accroc, se cache une architecture millimétrée – et des arbitrages décisifs entre expérience, sécurité et performance.