Après deux années marquées par des fraudes internes, une incapacité à se différencier dans un paysage dominé par les géants français de l’affacturage et un process de vente qui n’a intéressé personne, la succursale française du groupe néerlandais quitte purement et simplement le marché. Portefeuille en extinction, financements stoppés depuis novembre 2025. Rideau.

Ce retrait prend une tout autre dimension lorsqu’on observe le contexte dans lequel il survient : la France traverse la pire crise de délais de paiement depuis plus d’une décennie. Selon une étude publiée par Coface début octobre, 86 % des entreprises subissent désormais des retards de paiement inter-entreprises, avec une moyenne de 50 jours, record européen. Et ces retards ne sont pas de simples irritants administratifs : ils étranglent la trésorerie des petites entreprises. Chaque jour, entre 40 et 50 PME françaises mettent la clé sous la porte, faute d’être payées à temps. Depuis le début de l’année, les dettes fournisseurs impayées ont déjà dépassé 3,4 milliards d’euros. Autrement dit : au moment où les entreprises ont le plus besoin d’être financées entre la facture émise et la facture encaissée, un factor bancaire européen décide de plier bagage.

Derrière de cesser son activité affacturage sur le marché français, plusieurs facteurs convergent. D’abord, deux années marquées par des fraudes, qui ont mis en lumière des faiblesses dans les dispositifs de contrôle et alourdi le coût opérationnel de la succursale. Ensuite, un positionnement devenu difficile à défendre : ABN Amro Factor proposait une offre sensiblement comparable à celle des acteurs français, sans avantage particulier en matière de risque, de technologie ou de volumes, dans un marché historiquement dominé par les grands groupes bancaires nationaux. Enfin, le processus de cession engagé par la maison-mère n’a suscité aucune offre jugée satisfaisante, signe que la combinaison “portefeuille + modèle + risques” n’attirait plus les acheteurs potentiels. Face à ces impasses successives, le groupe a choisi la solution la plus nette : arrêter les financements et mettre le book en extinction. Pour les clients d’ABN Amro, la situation est immédiate : il faut trouver une solution de continuité.

Les grands factors historiques (BNP Paribas Factor, Eurofactor, BPCE Factor, Factofrance, Société Générale Factoring, La Banque Postale, HSBC Factoring, Delubac) restent là. Mais ils sont plus sélectifs que jamais, poussés par des exigences opérationnelles lourdes, une industrialisation des processus, un durcissement prudentiel et des volumes concentrés sur les ETI. Les PME “grisées”, celles qui vivent déjà avec des retards de paiement chroniques, ne sont plus prioritaires. C’est dans cet espace laissé vacant, entre des factors traditionnels plus sélectifs et un besoin croissant de financement ponctuel, que plusieurs fintechs se sont positionnées. Parmi elles, Defacto apparaît aujourd’hui comme l’un des acteurs les plus susceptibles de capter une partie de la demande émanant de PME fragilisées par les retards de paiement. Son modèle, fondé sur l’analyse automatisée des flux et le financement court terme, lui permet d’intervenir sur des besoins plus granuleux que ceux traités par l’affacturage classique.

L’arrêt d’ABN Amro Factor n’affaiblit pas seulement la diversité du marché : il confirme que les modèles intermédiaires, ni suffisamment industrialisés, ni suffisamment technologiques, ne tiennent plus. Le financement court terme se polarise entre les très grands (massifs, prudents, sélectifs) et les très agiles (rapides, API-first, orientés usage). Entre les deux, il n’y a plus d’espace. Les derniers exemples parlent d’eux-mêmes : arrêt de Silvr en juillet dernier, cessions des activités d’Hokodo et de Cash in Time, l’offre d’affacturage en ligne pour les TPE de Crédit Agricole relayées cette semaine par Mind Fintech.

Dans un pays où les retards de paiement sont devenus une menace systémique, où la survie de milliers de PME se joue désormais sur la rapidité d’un virement, l’arrêt d’un factor étranger n’est pas neutre. C’est un révélateur : seuls les acteurs capables de financer vite, de manière flexible et avec une lecture fine du risque continueront d’exister.